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5 Oeuvres
Coups de coeur de

Julien Abadie

Nouveau directeur de la revue Vie des Arts, Julien Abadie a eu plusieurs vies professionnelles. Tour à tour journaliste dans la presse cinématographique, sportive, économique et même militaire, il a acquis au fil du temps de solides compétences en stratégie numérique. Il a notamment accompagné et impulsé des transitions dans des médias comme Equidia en France ou Les Affaires au Québec, mais aussi en travaillant pour les agences web Silentale et Adviso.

Mais sa passion première demeure la critique d’art en général et de cinéma en particulier. Avec un goût particulier pour les films dits « de genre ». On a pu le lire dans les magazines Chronicart, Vertigo, Carbone, Voir et maintenant Vie des Arts. Il a aussi prêté sa plume à deux ouvrages collectifs : Paul Verhoeven, Total Spectacle (aux Éditions Playlist Society) et John McTiernan, Cinéma Total (à paraître aux Éditions Aedon). Son premier ouvrage personnel paraîtra courant 2020 et s’intitulera : Speed Racer, les Wachowski à la lumière de la vitesse.

Pour visiter le site internet : Vie des arts

Michel De Broin
Cette sculpture monumentale dissimule semble-t-il le même mystère que les illusions d'optique d'Escher. L'œil tourne autour sans savoir par quel bout la prendre, et quand il croit enfin la saisir, elle lui échappe aussi sec. Mais l'essentiel est ailleurs. L'escalier de Révolutions décrit avant tout dans l'espace la même trajectoire que celle qui pétrifie notre époque : celle d'une boucle infinie, d'une tournoyante immobilité. Le mouvement qui est à l'œuvre ici n'en est pas vraiment un, c'est une ascension qui échoue, une marche à rebours, une progression tautologique, une révolution au sens giratoire du terme. Ce n'est pas un mince tour de force que d'arrêter le passant en le saisissant exactement là où il est : dans l'âge de l'inertie.
Linda Covit
Je nourris une fascination pour cette œuvre découverte par pur hasard, un jour de grand froid où j'avais décidé d'explorer les confins de Montréal. La jetée enneigée de Lachine était complètement déserte. Seules m'accompagnaient alors les silhouettes des trois monolithes de Theatre for Sky Bloc. Depuis le banc de granit qui les accompagne, j'avais trouvé qu'elles ajoutaient de la verticalité à la suprême horizontalité du lac Saint-Louis et du ciel gris. Je ne saurais dire si c'était dû à leur manière élégante de découper le paysage, ou à la poésie de leurs nuages semblant flotter entre l'eau et l'air, mais un mélange de quiétude, de respiration, de permanence se dégageaient de cet inaltérable trio.
David Altmejd
Je n'ai pas souvenir d'avoir découvert, dans l'art canadien de la décennie écoulée, d'œuvre dégageant une puissance aussi singulière que celle de David Altmejd. Ses sculptures mutantes, proliférantes, sont autant d'incarnations de l'horizon hybride qui semble désormais celui d'homo sapiens. En apparence plus sage que le reste de son travail, L'Œil procède en fait de la même logique : elle fait le pont entre l'art d'Altmejd et celui d'hier, elle féconde les formes classiques de la sculpture pour accoucher d'un mutant composite et fabuleux. Le plus surprenant, c'est qu'il circule dans les formes turgescentes de cet Icare éventré une énergie rassurante. Comme si son caractère fondamentalement changeant formulait la promesse d'un constant renouvellement, d'une floraison toujours recommencée. Qu'il soit positionné à l'entrée d'un musée transforme l'œuvre en quasi manifeste : l'art est vivant et le sera toujours.
Patrick Coutu
Produite pendant l'ère Edo, la fameuse Vague d'Hokusai est ce qu'on appelle en japonais un ukiyo-e : une image du monde flottant. Cet art vitaliste dégage une indéfinissable énergie primordiale, un souffle spirituel et mystérieux qui semble obéir à des lois autres que celles qui ordonnent le monde. Ce qui est intéressant dans la Vague de Patrick Coutu, c'est qu'elle nous renvoie à cet art traditionnel, tout en renversant sa proposition philosophique : scrupuleusement conçue selon les proportions du nombre d'or, constituée d'un assemblage de signes + et -, en trois dimensions quand les ukiyo-e cherchaient la planéité, cette sculpture est une tentative de numérisation du mouvement naturel des choses, l'assujettissement symbolique de ses formes aux forces mathématiques qui l'entourent. Selon son humeur, on pourra y lire la perfection structurelle de Dame Nature, ou un commentaire sur l'implacable rationalisation qui préside désormais à notre rapport au monde.
Antony Gormley
Les êtres numériques sont les golems modernes : en gravant en eux quelques instructions algorithmiques, nous lui donnons une existence. Et en les regardant s'animer avec une effrayante précision, ils nous renvoient à notre propre condition. Nous sommes des êtres vivants qui avons si bien appris à créer la vie de rien, même d'une nature aussi morte que le code informatique, que nous peinons désormais à distinguer ce qui nous différencie, non pas du vivant, mais précisément de l'inanimé. Dans les pixels géants qui forment cette sculpture, on ne sait s'il faut lire la naissance de la première singularité technologique, ou la fin prochaine de la nôtre.