Geneviève Cadieux, une trajectoire stellaire dans le milieu des arts visuels.
Elle a contribué à une émergence de la photographie comme discipline au premier plan de l’art contemporain. Par son parcours exemplaire, la photographe se voit remettre cette année le prestigieux prix Paul-Émile-Borduas, décerné depuis 1977 par le ministère de la Culture du Québec à un artiste visuel pour l’ensemble de son oeuvre.
« J’ai été formée en peinture à l’Université d’Ottawa, mais ma pratique s’est cristallisée en photographie, une discipline artistique qui me permettait de m’exprimer de manière plus précise. Sans m’attarder à ses règles inhérentes, j’ai traité la photographie comme un matériau vers d’autres supports. Plus tard, j’ai participé à des expositions importantes comme Passage à l’image au Centre Georges-Pompidou à Paris. Cet événement consacré aux images contemporaines issues de la photographie, du cinéma et de la vidéo s’intéressait aux rapports entretenus entre ces moyens d’expression. Avec ma génération, la photo acquérait soudainement un autre statut. »
Depuis 40 ans, Geneviève Cadieux expose son talent et propose sa vision dans le monde. Ses réflexions sur l’image et sa relecture du langage photographique sont saluées par la critique internationale. Dès ses premières expositions, au début des années 1980, la force d’évocation de son œuvre laisse entrevoir un parcours prometteur.
Au moyen de son appareil photographique et de prises d’images en plans rapprochés, Geneviève Cadieux observe et livre une vision du corps humain fragmenté où s’inscrivent le passage du temps, les cicatrices et les ecchymoses. Ainsi s’ouvrent autant d’avenues d’introspection : perception, désir, perte et souffrance. L’artiste soumet ses images aux codes cinématographiques en proposant des œuvres surdimensionnées. Elle offre ainsi une nouvelle expérience perceptuelle, troublante et vraie, de l’intime du corps : par l’effet de l’agrandissement, celui-ci devient un corps-paysage, son sujet privilégié. Dès lors, la représentation du paysage naturel s’inscrit dans son œuvre.
« On a souvent associé l’échelle de mon travail à l’image cinématographique en raison de sa dimension. Cette échelle m’est familière parce que mon père était propriétaire d’un cinéma de répertoire à Ottawa. Ma formation du visuel est intimement liée à l’histoire du cinéma, elle est tout aussi importante que mon passage à l’université. » Inspirée par cette approche, Geneviève Cadieux signe la très emblématique œuvre La Voie lactée (1992) posée à contre-ciel sur le toit du Musée d’art contemporain de Montréal, visible de jour et de nuit. « La voix féminine se trouve au cœur de l’œuvre, non seulement par ce qu’elle représente et par son inscription sur l’institution muséale, mais aussi parce que ce sont les lèvres de ma mère. La langue maternelle et la parole féministe m’ont été transmises par elle, et je lui rends hommage. »
En 1990, Geneviève Cadieux devient la première femme à représenter le Canada en solo à la Biennale de Venise. Son installation in situ La fêlure, au chœur des corps, déployée sur les fenêtres du pavillon canadien, est « une image très agrandie d’un baiser flanqué de cicatrices ». L’idée de montrer l’intime dans un lieu public propose une expérience esthétique différente. Cette œuvre magistrale marque l’imaginaire des spectateurs et inscrit une empreinte indélébile dans la vie de la jeune artiste.
« Venise a été une plaque tournante dans ma carrière. Certes, la qualité et la singularité du travail sont déterminantes, mais il y a toute une synergie que l’artiste ne peut contrôler. Au début de ma carrière, on s’intéressait à l’installation, à la photographie contemporaine, à la parole féminine. Mon travail est donc devenu visible très rapidement, et les invitations se sont multipliées. »
Prisées, les créations de Geneviève Cadieux se trouvent aujourd’hui au cœur de plus de 150 expositions collectives et de dizaines d’expositions individuelles à travers le monde; depuis la Tate Gallery de Londres jusqu’à de prestigieux musées à Madrid, à Bilbao, à Anvers, à New York ou encore à Kyoto. Elles se retrouvent parmi de nombreuses collections muséales, corporatives et privées au Québec et ailleurs, notamment au Centre Georges-Pompidou de Paris, à la Caixa de Barcelone et au Musée de Kyoto.
L’art de Geneviève Cadieux est aussi célébré lors d’une rétrospective d’importance au Musée d’art contemporain de Montréal, en 1993, ainsi qu’au Musée des beaux-arts de Montréal, en 2000. L’artiste reçoit le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2011. Elle devient membre de la Société Royale du Canada en 2014.
Professeure agrégée à la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia, elle joue un rôle central dans l’orientation du programme de photographie et contribue ainsi à former des artistes émergents. « Avoir des professeurs qui ont une pratique, c’est inspirant, je le sais, car j’ai eu cette chance. »
Mentore confirmée, artiste renommée et voix féminine originale, Geneviève Cadieux continue de tracer un sillon lumineux dans la vie culturelle québécoise.
Membres du jury :
Eveline Boulva, Québec
Dominique Blain, Montréal
Pascale Girardin, Montréal
Michel De Broin, Montréal
Rober Racine, Montréal
Source: http://prixduquebec.gouv.qc.ca/prix-qc/desclaureat.php?noLaureat=538
Image: La voie lactée, 1992
© Geneviève Cadieux / Galerie René Blouin, 2015 – Crédit photo: Richard-Max Tremblay (2014)